Le Cadre de Concertation des Ministres en charge de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (CCMEFP) de l’espace UEMOA est né à Ouagadougou en 2004 au lendemain de l’historique Sommet Extraordinaire des Chefs d’États et de Gouvernement de l’Union Africaine sur l’Emploi et la lutte contre la pauvreté. Cette instance régionale a pour mission de relever tous les défis liés au chômage, le sous-emploi et la formation professionnelle continue des jeunes. Tout ceci grâce à la mutualisation des outils. Après 10 ans d’existence, l’actuel président du Cadre Mahugnon KAKPO retrace à travers un entretien exclusif l’origine et le chemin parcouru par le CCMEFP.
La Concertation : A l’origine, quelle était la motivation de la création du cadre de Concertation des Ministres en charge de l’Emploi et de la Formation Professionnelle de l’espace UEMOA ?
Mahugnon KAKPO : Vous n’êtes pas resté sans savoir que la jeunesse de nos différents pays est confrontée aujourd’hui à une problématique : celle du chômage et du sous-emploi. Cette situation est tellement préoccupante que les jeunes sont dans la précarité totale. Et lorsque vous avez une jeunesse qui constitue l’essentiel de la population qui est désœuvrée ou qui a appris un métier et qui n’a pas du boulot, cela devient pour les gouvernants aussi bien que pour les parents, une importante préoccupation sociale. Vous savez que lorsque vous avez des enfants dans cette situation-là, un enfant qui est allé à l’école, mais qui n’a pas un métier ; un enfant qui a un métier mais qui n’a pas d’emploi, cela perturbe. C’est pour cela que les dirigeants de nos différents pays, surtout dans le cadre de l’Union Africaine ont eu en 2004 un sommet extraordinaire qui s’est tenu à Ouagadougou sur la lutte contre la pauvreté et la promotion de l’emploi. Le cadre de concertation pour l’emploi et la formation professionnelle est donc une des conséquences de ce sommet extraordinaire de l’Union africaine, qui a eu lieu en 2004 à Ouagadougou. Et ce cadre devrait permettre d’installer une plus grande synergie au niveau des nations, surtout sur le plan des actions et des outils, de même que des stratégies à mener dans le cadre de la promotion de l’emploi et la formation professionnelle. Ainsi, en 2010, le cadre a été créé dans l’espace UEMOA à Bamako et depuis, ce cadre évolue.
Après 10 ans, quels sont les acquis du CCMEFP-UEMOA ?
Il faut d’abord préciser que ce n’est qu’en septembre 2018 que j’ai été porté par mes pairs en charge de l’emploi et de la formation professionnelle à la tête de ce cadre pour un mandat de trois ans. Les projets issus de ce cadre sont conçus pour être intégrés ou s’inscrire dans une vision globale et transversale au niveau des huit pays de cet espace UEMOA. Il faut aussi constater que ce cadre a fonctionné de façon régulière jusque-là, c’est à dire que les différentes échéances, les différents rendez-vous ont toujours eu lieu. Les pays ont toujours payé leurs cotisations et nous constatons qu’il y a une parfaite intégration de la Guinée-Bissau. Vous savez que la Guinée-Bissau n’est pas un pays francophone, et cette barrière linguistique aurait pu laisser ce pays en rade. Pourtant, le sursaut de l’ensemble des pays de ce cadre a fait que la Guinée Bissau s’est sentie et se sent complètement intégrée.
Sur le plan des réalisations, il faut préciser qu’il y a eu l’élaboration d’une liste minimale des indicateurs du marché du travail dans l’ensemble des huit pays de cet espace. Cette liste minimale permet de savoir dans chaque pays ce que dit et ce que veut le marché du travail, et cela est mise à disposition de tous les membres du cadre. Il a eu la rédaction de 16 curricula de métiers de formation à raison de deux métiers par pays membre du cadre. Cela fait que les curricula existants permettent à chaque pays d’utiliser, par exemple, ce que le Togo a fait. Si au Bénin nous comptons faire la même chose, nous allons directement voir ce que le Togo a fait et nous pouvons partir de là pour pouvoir continuer. Il s’agit là donc d’une mutualisation des ressources que le cadre a créée. Pour permettre à tous les pays membres du cadre d’utiliser ou de mieux mutualiser ce qui se fait, il y a eu la création d’une plateforme de mutualisation des ressources. Cela est également un acquis de ce cadre. Nous avons initié au sein du Cadre la création de collèges communautaires dans chacun des pays. Un collège communautaire est un espace de formation où la communauté s’intègre à l’institution de formation pour que ce qui se fait au niveau de cette institution puisse bénéficier à toute la communauté et également pour que la communauté prenne part à ce qui se fait. Il y a donc une intégration entre formation et communauté, et au Bénin, l’expertise nous a permis de retenir le lycée technique et professionnel d’Akodéa pour devenir un collège communautaire. Donc, cette expérience se fait actuellement et se fait dans tous les pays membres de l’espace UEMOA. En septembre 2019, nous avons inauguré le siège de cadre. Cela est bien surprenant parce que depuis 2010 que le cadre existe, il n’y avait pas eu de siège. Les locaux étaient loués. Avec l’aide du gouvernement malien, nous avons pu obtenir à ce jour un siège à Bamako, et en septembre dernier, nous avons pu inaugurer ce siège et désormais le cadre est dans ses propres locaux à Bamako. Vous voyez que ces exemples ou du moins ces pratiques peuvent aider notre pays à aller de l’avant. Cela nous a permis également, et il faut le préciser d’inscrire notre stratégie. La stratégie que le Bénin a élaboré, la stratégie pour l’enseignement et la formation technique et professionnelle sert non seulement au cadre national, mais a également une perspective, une vision qui peut faire que les autres pays qui nous entourent ainsi que les autres pays membres de ce cadre, peuvent regarder ce que nous faisons et à en faire autant. Ce qui va nous permettre dans le cadre de la valorisation des acquis et dans le cadre de la mise en place du cadre national de certification, de permettre qu’il y ait une mutualisation de nos ressources humaines, de nos ressources humaines qualifiées au niveau de cet espace, dans la mesure où le Bénin a vocation de devenir une plateforme des services, du savoir et de l’expérience.
Nous avons noté avec beaucoup de satisfaction que les pays comme le Tchad ainsi que le Congo s’intéressent au CCMEFP-UEMOA. Est-ce que vous pensez que l’arrivée de ces pays qui ne sont pas membres de l’UEMOA est un indicateur de performance ?
C’est vrai que le Tchad ne fait pas partie de l’espace UEMOA. Toutefois, l’expérience qui s’effectue au niveau de ce cadre de concertation, surtout au niveau de l’emploi et de la formation professionnelle a pu émerveiller d’autres pays ; notamment, le Tchad, qui dès le départ, a commencé à participer à nos travaux et qui fait actuellement partie de ceux qui partagent l’expérience de la mutualisation de la plateforme des ressources et des outils pour la formation professionnelle ainsi que pour la promotion de l’emploi. Ce qui fait que le Tchad regarde sur la plateforme les métiers, les curricula des métiers qui sont établis, partage ses expériences également avec ceux qui sont sur cette plateforme et qui sont membres de ce cadre. Ce qui fait que nous sommes petit à petit en train de dépasser l’espace UEMOA dans le cadre de ce cadre de concertation des Ministres en charge de l’emploi, de la formation professionnelle. Cependant, il n’y a pas que le Tchad. Comme vous l’avez dit, il y a d’autres pays comme le Cameroun, la République Démocratique du Congo et la Guinée Conakry qui sont en train de frapper à la porte pour intégrer le cadre. Vous voyez que on ne va pas quelque part ou ce n’est pas bien, c’est lorsque l’expérience qui se développe dans un endroit est une expérience qui peut vous apporter quelque chose de positif ; c’est lorsqu’il y a cette condition que vous cherchez à adhérer ce cadre. Donc, vous voyez que ce qui est sûr, ce qui se pratique comme expérience au niveau de ce cadre de concertation est quelque chose de positif et les autres pays veulent également y participer.
Au regard de ce brillant parcours, quelles sont les perspectives du CCMEFP-UEMOA ?
Ce que nous devons réussir au niveau de ce cadre, c’est d’abord de concrétiser le Profor, c’est à dire le programme de formation et d’insertion des jeunes initié avec la coopération suisse. Pour nous, ce qui constitue un enjeu majeur ou un défi à relever dans ce cadre, c’est de parvenir à mettre en œuvre programme. Lorsque ce sera fait, ce qui est sûr, c’est que le cadre fera davantage parler de lui de façon positive parce que nous aurons ainsi réussi à former et à insérer dans le tissu économique plusieurs de nos jeunes au niveau de chacune de nos nations membres. Au-delà de cette nécessité nous devons également renforcer l’hébergement de la plateforme de mutualisation des ressources et instruments parce que cette plateforme existe, mais son hébergement n’est pas encore complètement renforcé. Nous avons besoin de le renforcer et nous avons également besoin que ceux qui y travaillent puissent être davantage formés pour qu’il y ait une actualisation permanente de cette plateforme. Nous n’avons pas encore réussi à le faire, mais les dispositions sont déjà prises pour que nous puissions y parvenir. Nous avons également comme défi à relever la nécessité de la prise en charge du cadre par la Commission de l’UEMOA. Le cadre est certes une institution des pays de cet espace UEMOA, mais l’UEMOA elle-même est une institution. Mais nulle part dans l’organigramme de l’UEMOA on ne voit le cadre. C’est à dire que le cadre n’est accroché à aucun des organes de l’UEMOA. L’objectif aujourd’hui, c’est de parvenir à faire reconnaître le cadre comme l’un des organes de la Commission de l’UEMOA.
En tant que ministre Bénin des enseignements Secondaire Technique et la formation professionnelle, quel est le message que vous avez à l’endroit de cette jeunesse en quête d’emploi ?
Le message que j’ai à l’endroit de cette jeunesse c’est qu’à ce jour, pour réussir à endiguer la question du chômage et du sous-emploi, nous sommes obligés d’avoir des ouvriers qualifiés. Nous sommes obligés d’avoir nos jeunes qui doivent bénéficier d’une formation professionnelle.
Les entreprises qui ont gagné les chantiers du PAG ou les marchés de chantiers ont besoin de recruter des jeunes pour pouvoir travailler. Mais lorsque ces jeunes ne disposent pas d’une qualification professionnelle, ils ne pourront pas être recrutés pour travailler sur les chantiers que le gouvernement lui-même a ouverts. Par conséquent, nous sommes obligés, pour éviter que ceux qui vont travailler sur les chantiers que nous avons ouverts nous-mêmes ne soient importés, nous sommes obligés d’aller vite à la qualification professionnelle de nos jeunes. C’est dans cet esprit que le gouvernement a initié et réalisé la Stratégie nationale pour la relance de l’enseignement, la formation technique et professionnelle. De cette même façon, les jeunes doivent comprendre que la priorité aujourd’hui doit être leur formation professionnelle. C’est donc cet appel que je lance aujourd’hui pour qu’ils comprennent que c’est un enjeu majeur, pour qu’il n’y ait plus de jeunes formés qui soient à la maison, que la plupart des jeunes puissent disposer d’une formation professionnelle.